Voila 4 jours que j'ai débarqué à Belgrade en avion. Magic a raté la connexion à Roissy et est arrivé le lendemain dans un colis défoncé. En colère, j'ai planté ma tente la nuit venue dans l'aéroport , planqué derrière un petit buisson. Après 2 jours de route en Serbie ou j'ai pu me rendre compte de la popularité intacte de Milosevic, me voici en Bosnie Herzegovine. Hier soir j'ai été invité dans la maison (en construction) d'un jeune couple bosniaque : la ravissante Adisa a fui en Suisse durant la guerre et parle parfaitement francais, rattrappée par le mal du pays elle est revenue en 2001 et a succombé au charme de Damir. Admira a 6 mois et est chouchoutée par sa grande soeur de 2 ans. Hier soir avec les voisins nous avons bu beaucoup de bières très tard sur la table de camping en ciment. Toute le vallée a été détruite par les chars serbes en Juillet 1995 (il y a seulement 10 ans!), les maisons ont été passées au lance-flammes et les hommes massacrés. Les femmes et les enfants de moins de 12 ans ont été épargnés pour faire croire à un fait de guerre alors que c'était un génocide organisé... Mais a coté des maisons brulées, on reconstruit maintenant partout et on veut croire dans un avenir de paix.
Je suis réveillé à 7 heures par les gasouillis d' Admira et le... tonnerre, dehors il pleut très fort, rude journée de vélo en perspective! Damir a mis son costume de serveur, il travaille dans un resto voisin, Adisa toujours aussi élégante dans une robe longue. Après un bon petit déjeuner, j'enfile mon costume "Goretex" et je pars sous la pluie le coeur battant pour Srebrenica. A Bratunac , grosse citée dortoir, je prends à gauche pour monter vers Srebrenica : 11000 bosniaques sans armes ont été massacrés en 3 jours la-bas par les soldats serbes. Un mémorial de 600 tombes de terre attend les autres corps disséminés dans des charniers éparpillés dans la montagne. Magic a le drapeau en berne, nous essayons comme nous le pouvons de rendre hommage aux victimes. Je lis sur les tombes: 19975/1995, 1981/1995 (14 ans!) En face du mémorial, une grande usine désaffectée, c'est la que se trouvait la garnison hollandaise de l'OTAN chargée de protéger les Bosniaques et qui n'a pas bougé durant les 3 jours de massacres à 7 km de là. La route qui monte à Srebrenica est complètement sinistrée: des usines rouillées à l'abandon, ca me rappelle la Russie...Les jambes lourdes, j'arrive enfin à Srebrenica, il pleut toujours, la ville ressemble à une station de sport d'hiver délabrée, coincée entre les montagnes, une véritable souricière pour un chef de guerre....Certains ont pu s'échapper en escaladant des versants abrupts et se sont cachés des jours dans les forèts, ètre retrouvé par les Serbes voulait dire la mort immédiate, je n'aurai plus jamais peur sous ma tente...L'hotel de ville est complètement délabré, la ville d'une tristesse inouie.
Je ne comprends pas qu'une ville qui a tant souffert soit laissée comme ça à l'abandon, ou va donc "l'aide internationale"? Je rencontre sur la grand place Alija qui parle anglais, je lui propose un café, nous allons dans le resto de son ami qui a réussi à échapper au massacre : il a depuis les cheveux blancs et a vieilli de 10 ans. Il reste pessimiste sur l'avenir de la ville, les serbes reviennent en force (incroyable!!) alors qu'ils ne représentaient que 25% de la population en 1995. Hassan, un grand gaillard de 18 ans (il avait 8 ans en 1995) arrive avec un superbe VTT "Trek" offert par un soldat hollandais de la KFOR, il est passionné par Magic et tous ses bagages! " Moi aussi je ferais le tour du monde !" me dit-il, très émus on tombe dans les bras l'un de l'autre. Je suis le premier cycliste voyageur qu'ils voient depuis la guerre, ils sont heureux et moi aussi... Un journaliste arrive ,je leur demande: "c'est le téléphone arabe", on se marre un bon coup! Demain j'aurais ma tronche dans le journal de Srebrenica. Hassan m'accompagne avec son Trek dans la montée du col au dessus de la ville d'où le malheur est venu, toutes les maisons sont brulées bien sûr! Sale guerre! A mi-col, on se quitte, ça grimpe fort, je suis triste et fatigué, le cauchemar de Srebrenica me tétanise les jambes. Il est 13h, je m'arrète pour manger, je m'écarte un peu de la route dans la forèt et je me rappelle que ca peut ètre miné: putain de guerre, tu vas me lacher? La nature est si belle par ici, les camps de concentrations en Allemagne étaient aussi au milieu de forèts magnifiques...La route goudronnée fait place à une piste de terre rouge mais le soleil est revenu. J'ai de quoi manger pour ce soir, je mettrai le bivouac au milieu de nulle part. Demain sera un autre jour, direction Sarajevo....