Voilà déjà 5 mois que nous venons de faire ce voyage.
Nous avions d'abord raté le vol Pékin - Pyongyang, la compagnie Nord Coréenne Korio ayant décollé avec 5 heures d'avance sans nous prévenir. Trois jours d'attente, bravo les voyages super organisés!
Premier jour en Corée du Nord:
Le nez collé sur le hublot du Tupolev 204 en approche sur Pyongyang, j'essaie de capter les premières images du pays le plus mystérieux de la planète. Les champs sont tous quadrillés, la terre a une couleur grise uniforme et semble manquer d'eau. Pas de hameaux disséminés au p'tit bonheur comme chez nous mais ça et là des alignements d'habitations toutes identiques: la politique du pays est déjà visible du ciel, bienvenue au royaume du collectivisme souverain.
L'atterrissage est parfait mais le pilote ne peut gommer les secousses provoquées par les dalles de béton disjointes d'une piste hors d'age. Le long du taxiway des hélicoptères russes sont recouverts d'un tissu de protection poussiereux qui doit servir aussi de camouflage. Sur le tarmac de l'aéroport, une dizaine d'avions de transport Antonov avec le nez vitré caractéristique d'une capacité de reconversion en bombardiers, mais pas de traces d'avions de chasse qui doivent ètre dans des abris sousterrains...
L'aéroport nous fait penser à celui de Brest il y a 20 ans mais des travaux d'agrandissement sont en cours, la récupération des bagages sur un seul tourniquet grincant nous laissera tout le temps d'admirer les portraits géants de Kim Il Sung et Kim Yong Il . Les douaniers sont affables et souriants, appareil photo, téléphone et ordinateur portable sont autorisés mais le GPS est interdit.
Notre comité d'acceuil nous attend à la sortie:
Joan 45 ans est le guide en chef, parlant un français parfait et connaissant bien l' histoire de France bien qu'il ne soit jamais sorti de son pays. Beaucoup d'humour mais il sera toujours un peu stressé sans doute à cause de mon coté difficilement maitrisable..,
Kim 23 ans est le guide stagiaire, il se débrouille pas mal en français mais n'est jamais sorti de Pyongyang. Il va découvrir son propre pays avec nous et nous posera plein de question sur la France, quand Joan n'est pas à portée de voix!
Ham la trentaine est le chauffeur du minibus coréen, gants blancs pour conduire et chiffons pour faire briller le carosse.
Ils sont tous les trois en costume sombre impeccable avec des noeuds de cravate d'une symétrie parfaite et des chaussures noires qui peuvent servir de mirroirs. Avec Monique et moi nous serons donc 5 à bord minibus pour visiter le pays, la bonne humeur sera toujours de mise et plusieurs fois nous chanterons ensemble la Marseillaise y compris "Contre nous de la tyrannie, l' étendard sanglant est levé" !
L'autoroute vers Pyongyang est très large mais pratiquement déserte, juste quelques vélos lourdement chargés de sacs de riz , des tracteurs rouges poussifs et des charriots avec des grandes roues en fer tirés par des boeufs à 2 km/h. Des paysans travaillent en petits groupes dans les rizières avec ça et là des banderolles rouges et blanches de slogans à la gloire des Kims et de la Révolution. Et les soldats? Ils sont partout souvent marchant au pas par petit groupe, toujours impeccablement vètus. Le message vers la population " Soyez rassurés, l'Armée veille sur vous " doit ètre recu 5 sur 5.
Première impression en arrivant dans la Capitale: c'est immense, propre et bien ordonné, pas du tout l'aspect sinistre que nos médias nous montrent habituellement. Des immmeubles récents de 20 à 30 étages, beaucoup de cyclistes et des piètons pas pressés, toujours bien habillés avec une mine plutôt réjouie. Les transports en commun ( bus et tramway) sont d'un autre age et cherchent un second souffle.
" Nous allons au cirque à 18 heures si vous le voulez bien " nous informe Joan, c'est un ordre sous forme de proposition. Nous ne serons pas décus: plus de 2000 spectateurs dans le palais du cirque, les femmes sont en costume traditiionnel en forme de cornets à glace retournés, nous avons deux sièges réservés au premier rang. La représentation va démarrer à la seconde près, il n'y a pas un seul siège de libre!
Des numeros internationaux de haute voltige, chinois, russes, égyptiens...( tous les pays frères réunis !) vont se succéder durant 1,30 heure. Les applaudissements fusent dans une ambiance de réelle bonne humeur partagée.
Le soir nous nous retrouvons au restaurant avec plusieurs autres cars de touristes aux couleurs de KITC (Korean.International Travel Company), agence étatique incontournable. Légumes, riz et poissons sont à la base des différents assortiments présentés dans des coupelles. Nous rejoignons vers 20 heures l'immense hotel Akkekando situé sur une ile au milieu de la rivière Taedong (c'est plus efficace pour controler les touristes). " Rendez-vous ici demain à 8 heures" nous dit Joan qui semble soulagé de cette première journée sans anicroches. Notre chambre est située au 40 éme étage avec donc une vue imprenable sur la ville, les tours les plus hautes émergent difficilement de la brume. Une chose surprenante en ouvrant la fénètre: il n'y a pas ce grondement sourd généré par le traffic et les activités d'une grande métropole, on dit qu'à Pyongyang on peut ètre réveillé la nuit par un enfant qui pleure dans la tour d'en face... Les étoiles sont bien visibles dans le ciel car la pollution lumineuse est minimale.
Deuxième jour
Aujour'hui 15 avril, c'est l'anniversaire de la naissance de KIm Il sung, le père de la patrie décédé le 15 avril 1994. Monique, très émue, va déposer une gerbe de fleur devant les deux gigantesques statues de Kim Il Song et de son fils Kim Jung Il. Il y a beaucoup de monde sur cette explanade de Mansudae, des groupes de militaires marchant au pas, des hommes et des femmes en tenue d'apparat, tout le monde fait preuve d'un profond receuillement. Ce qui frappe dans ces statues et portraits des Kims que nous verrons partout c'est leur attitude de proximité avec leur sourire radieux et leurs belles dents blanches.
Un peu d'histoire:
La Corée (Nord et Sud) a été annexée durant 35 ans par Le Japon (1910-1945). L'occupation japonaise a été impitoyable, les ressources naturelles, humaines, culturelles sont pillées. La résistance à l'occupant s'est organisée peu à peu avec Kim Il Sung comme un des leaders. Le Japon (après avoir reçu 2 bombes atomiques américaines) capitule sur tous les fronts en Aout 1945 et se retirent de Corée où Russes et Américains se retrouvent face à face et organisent la partition du pays en 1948. Deux ans plus tard c'est la terrible guerre de Corée (1950-1953) entre le Nord et le Sud qui fera plusieurs millions de morts pour aboutir 3 ans après sur la mème ligne de démarcation... On en est toujours là aujourd'hui, le traité de paix n'est toujours pas signé, la guerre est donc toujours déclarée entre le Nord et le Sud !
Le musé de la Guerre est grandiose, la visite commence par les trophés de guerre pris aux Américains: chars, canons, avions de chasse et surtout le fameux bateau espion USS Pueblo capturé dans les eaux territoriales de la Corée du Nord. Le bateau bourré d'antennes est en parfait état, les bandes magnétiques sont toujours là. Il faisait des relevés météorologiques d'après les américains!!! L'équipage de 61 hommes sera maintenu prisonnier durant 1 an et libéré après les excuses officielles du Président des Etats Unis. Le musé abrite un diorama sur 360° retracant les principaux épisodes de la guerre de Corée: au premier plan vous avez des équipement réels et en arrière plan un paysage recomposé sur une profondeur de champ de 20 km, le réalisme est tout à fait prodigieux. Le bruit des bombes, des canons et des mitrailleuses vous laissent pétrifié.
Les défilés militaires et civils (jusqu' à 100000 participants) ont lieu sur la gigantesque place Kim Il Sung, des marquages au sol de différentes couleurs facilitent les alignements parfaits...
L'après-midi nous prenons tous les 5 notre minibus pour aller vers Nanpoe à l'embouchure du fleuve Taedong. Un barrage-écluses de 7 km de long a permis de domestiquer le cours du fleuve, c'est la grande fierté du Régime. La route est toujours aussi large et toujours aussi vide...Nous nous arrètons à la maison natale de Kim Il Sung, ( nouveau dépos de gerbes pour Monique) : soldats, femmes, hommes, jeunes couples, enfants...Tout le monde partage sa profonde dévotion pour le Grand Leader!
Une vingtaine de kilomètres plus loin nous visitons une ferme coopérative de taille moyenne (1000 hectares pour environ 1000 ouvriers). La visite commence par les statues des 2 Kims sur le terre-plein d'entrée, re-gerbe et re-courbette pour Monique qui y prend gout. Toutes les fermes ont la mème organisation hiérarchique inspirée de l'armée, les objectifs du Plan sont déclinés pour toute la pyramide. Les familles vivent dans des petits appartements regroupés dans des immeubles de 2 à 3 étages. Chacune a le droit d'exploiter un petit lopin de terre pour ses besoins propres. Ecoles, théatre, clinique, petit magasin, tout est à portée de ...vélos. J'aurais voulu visiter les hangars de matériels agricoles, ça sera pour la prochaine fois!
Nous passerons cette deuxième nuit en pleine forèt dans un somptueux bungalo pour dignitaires des pays frères. Joan nous fera un barbecue de moules , il sait tout faire ce guide!
Troisième jour:
Epais brouillard au lever du jour, nous devons emprunter des routes cahotiques pour nous rendre au barrage. Les paysans et les boeufs vont aux champs, les enfants vont à l'école à pied ou à vélo, personne n'est pressé..La brume ajoute encore au surréalisme du décor! STOP dis-je à Ham en lui montrant l'appareil photo, " NO STOP " répond Joan, déjà vexé que je prenne des photos à travers le parebrise sans lui demander l'autorisation. Eh oui, nous sommes en Corée du Nord, pas entre Milizac et Guipronvel... Nous arrivons enfin à la tour de controle du barrage perchée en haut d'une colline: sous nos pieds la brume, on ne voir rien par contre on imagine bien cet ouvrage monumental inauguré par Kim Jung Il en 1986. Le musée dans la tour est très pédagogique avec force maquettes et vidéos. Le président Carter est venu visiter le barrage (après sa présidence, tout de mème!) qui a permis d'éviter des sècheresses et des inondations mais sans doute au prix de profonds déséquilibres dans l'écosystème mais c'est pas dit dans la chanson...
De retour à Pyongyang en fin d'après midi, nous ferons au pas de course le circuit du parfait touriste:
- Le monument de la Réunification . Il réprésente 2 femmes coréennes en costumes traditionnels symbolisant les 2 Corée se penchant l'une vers l'autre au-dessus de l'autoroute partant vers le Sud..
- Le metro comporte seulement 2 lignes très profondes servant aussi d'abri anti-atomique, mais Joan restera muet comme une carpe sur ce sujet. Les stations sont immenses et superbement décorées à la gloire du régime, Joan récitera impeccablement sa leçon. Les wagons sont très spacieux, les coréens rentrent du travail, ils ont l'air contents et pas stressés du tout. Ils nous observent avec intérèt mais pas de gestes amicaux et encore moins de tentatives de conversation.
- L'Arc de triomphe, bien sûr le plus haut du monde, " 9 mètres de plus que le votre" dit Joan avec fierté. J'ose pas lui dire que je m'en fous complètement, j'ai déjà pris un carton jaune ce matin.
- Le stade Kim Il sung de 100000 places (plus grand que le Maracana) bati à l'endroit mème où il a fait son premier grand discours politique en 1945 après le départ des Japonais
- La tour du Juché ( on dirait un cierge de 170 mètres de haut avec une flamme rouge) est probablement le monument le plus énigmatique de Pyongyang surtout la nuit. Le Juche est la doctrine de la Corée du Nord, on la doit bien sûr à Kim Il Sung. Selon le Juche l'homme est le maitre de tout l'univers et il décide de tout grace à sa créativité, sa conscience et son indépendance (gloups!!!) mais il ne peut atteindre le Juche tout seul, c'est le peuple tout entier qui en partageant ces mèmes idées lui donne la force nécessaire (ouf! on respire..).
Quatrième jour
Pyongyang se réveille encore dans la brume ce matin mais la flamme rouge du Juché est toujours là. Quels sentiments éveille-t-elle au plus profond des coréens ? Nous allumons la TV : les chants patriotiques tournent en boucle entrecoupés de reportages montrant la beauté du pays et les magnifiques réalisations du peuple coréen. Et toujours omniprésentes les statues et les portraits géants des deux Kim! On voudrait crier " C'est bon, j'ai compris, je me rends..." mais il n'y a pas d'échapatoire à la propagande du régime.
Nous prenons notre minibus vers 8 heures, route au nord vers le mont Myohyang à une centaine de kilomètres de Pyongyang. Le palais de l'Amitié Internationale est impressionnant: plus de 100 salles exposant plus de 100000 cadeaux reçus de plus de 180 pays voulant témoigner leur amitié à Kim Il Sung, Kim Jung Il et Kiim Jung Un.. Halte aux superlatifs! Mais il faut montrer au peuple coréen que leurs leaders sont reconnus et admirés dans le monde entier.
Nous visitons ensuite un temple bouhdiste, il n'y a qu'un seul moine les autres sont parait-il plus haut dans la montagne. Officiellement la pratique d'une religion est possible mais c'est contradictoire avec les idées du Juché, Kim Il Sung est le Dieu qu'il vaut mieux vénérer...
Cinquième jour
Cap au sud aujourd'hui pour visiter la fameuse DMZ (Demilitarized Zone) qui marque la frontière infranchissable avec la Corée du Sud. Après 160 km sur une autoroute absolument déserte nous arrivons à Pannumjom. Les multiples check points, les miradors et les blocs de béton anti-char nous font savoir qu'ici on tire d'abord. La DMZ est un no men's land de 4 km de large et de 200 km de long, malgré son nom c'est la zone la plus militarisée du monde, truffée de tunnels et véritable paradis pour les animaux sauvages dont plusieurs espèces lui doivent leur survie. Trois barraques bleues ont été construites au milieu de la DMZ, la ligne de séparation passe au milieu de la table des négotiations. Les soldats comme les touristes sont ici face à face, prèts à en découdre..Et si tout cela n'était qu'une vaste comèdie orchestrèe par les USA?
La puissance militaire de la Corée du nord est complètement exagérée, tout l'équipement militaire est dépassé et il n'y a pas un fusil pour chacun des 1.3 millions de soldats. Mais cela permet d'entretenir la peur en Occident et donc d'entretenir de puissantes bases américaines en Corée du Sud...
Sixième jour
Nous reprenons ce matin notre Tupolev pour Pékin avec plus de questions que de réponses mais avec aussi une profonde sympathie pour ce pays. L'adieu à Joan, Kim et Ham nous rempli d' émotion car nous savons que nous ne nous reverrons pas et que nous ne pourrons pas communiquer. Nous n'avons pas du tout l'impression de les abandonner à leur triste sort, ils habitent un beau pays dont ils sont très fiers, leur liberté/égalité/fraternité a ici aussi tout son sens, sans doute différent du notre.
La réunification des deux Corée est le rève de tout coréen du nord, rève bien entretenu par le pouvoir en place qui fera tout pour que cela ne se produise pas tout en disant que c'est la faute des coréen du Sud endoctrinés par les américains...
Destination Seoul en Corée du Sud
A vol d'oiseaux Seoul est seulemnt à 200 km de Pyong Yang mais il faut repasser par Pékin
Nous comprendrons vite qu'en Corée du Sud personne ne souhaite cette réunification. Ici c'est le capitalisme forcené, tout le monde a son I-phone collé à l'oreille, la sollitude au milieu de la multitude.
Un drame national vient de frapper le pays, un ferry plein de jeunes étudiants s'est retourné en pleine mer et 400 passagers ont été pris au piège dans les cabines alors que le commandant et son équipage fuyait le navire. Une honte générale s'est soudain abattue sur le pays. Le Costa Concordia a eu plus de chance!
Séoul est une ville ultra moderne comme Bangkok, Kuala Lumpur, Singapour, Shanghai....Gratteciels en surface, réseaux de métro hallucinants et galleries marchandes en sous-sols.
Sur le chemin du retour nous nous posons la question: et s'il fallait choisir ? Habiter à Séoul ou à Pyonyang